Entreprise insensée que de vouloir écrire un texte à propos des gravures de Christian Bozon. Chaque mot risque de rompre l’équilibre fragile de la contemplation, de trahir la vérité de l’intuition.
Les jours passent, on veut toujours écrire, mais tout semble inutile. On se sent trompé par les idées qui nous traversent et qui disparaissent, redites appauvries de l’image. Et pourtant elles avaient d’abord semblé si intéressantes!
On se dit alors que l’on va procéder par méthode, parler des couleurs, de ce rouge, de ce bleu, de ce jaune, de ce rouge surtout ! De ce bleu quand même aussi! Mais non, cela ne dira finalement rien d’essentiel. On pense alors qu’il serait mieux d’évoquer en premier lieu les rapports des couleurs entre elles, mais aussi qu’il ne faudra pas oublier de dire les tons intermédiaires. Non, finalement, il conviendrait plutôt de commencer par évoquer les formes …
Mais dès les premiers mots pensés, on sent que l’on va trahir la complexité , la tension.
On se penche alors sur ce qu’ont écrit les autres* qui se sont pliés à cet exercice redoutable . On lit « subtilité », « tons rares », « emboîtements subtils », transparences ». Très bien, très juste.
Puis on se dit que l’on devrait écrire un poème, que seul sans doute un équivalent poétique pourrait rendre justice à l’image. A moins de se taire et d’ écouter les suites pour violoncelle seul de J.S. Bach. Un onctueux silence sur toutes choses.
Et soudain on repense à une lecture que l’on a faite 30 ans auparavant, à un passage que l’on avait lu, assis dans l’herbe, un jour que l’on imagine aujourd’hui d’une agréable tiédeur, face à une vue circulaire sur les monts de B.
On recherche alors le livre, on sait son titre, on sait sa couleur rouge , on croit se souvenir que le passage était sur une page de droite. Il évoquait un paysage et traitait de l’art.
On trouve l’ouvrage, on s’égare dans les 1500 pages, on relit des passages, mais on ne trouve pas celui dans lequel était fait un parallèle entre l’expérience vécue devant un paysage naturel et celle vécue devant une œuvre d’art.
Certains passages sont annotés au crayon à papier. On est surpris parfois de voir que l’on cocherait aujourd’hui parfois encore les mêmes passages sur l’art. Soulagé également de constater que l’on n’aurait par contre pas agrémenté tel autre d’un point d’interrogation. La vie.
Finalement, on ne retrouvera pas le passage que l’on cherche. Et cependant:
La lumière est la chose la plus réjouissante qui existe; on en a fait le symbole de tout ce qui est bon et salutaire. (…) La disparition de la lumière nous attriste immédiatement; son retour nous égaie; les couleurs excitent en nous une vive jouissance qui atteint son maximum, si elles sont transparentes. La raison de tout cela, c’est que la lumière est le corrélatif, la condition de la connaissance intuitive parfaite, c’est à dire de la seule connaissance qui n’affecte point directement la volonté.
Le monde comme volonté et représentation, A. Schopenhauer, PUF, 10° Edition, 2° trimestre 1978, page 257
L’ oeuvre de C. Bozon . La vie comme un équilibre rouge tendu d’un silence lumineux.
L’ oeuvre de C. Bozon . Ce qui en parlera le mieux, sera une autre oeuvre… ou le livre que l’on va relire à la recherche des quelques lignes que la lumière des souvenirs finira bien par éclairer… ou de la musique.
* Jacques Cavin, Pierre Peyrard