L’allégorie et la matière

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Friedrich_wanderer

Elina Brotherus se photographie de dos, habillée d’une redingote devant un vaste paysage. La citation du tableau « Der Wanderer » de Caspar David Friedrich, exposé à la Kunsthalle de Hamburg, est évidente. Mais cela suffit-il à faire œuvre ?

N’est-ce pas déjà le caractère photographique du tableau de Friedrich qui inciterait à ce type d’emprunt ? Comme dans le tableau en effet , la photographie se lit  au travers de l’allégorie («le plaisir du mélancolique»*)

L’allégorie en dit toujours trop, épuise inéluctablement la matière, étouffée par l’idée.

Ceci dit, dans l’oeuvre de Friedrich, une oeuvre semble à part. Il s’agit du moine au bord de la mer ( Alte Nationalgalerie de Berlin).

Et si on veut, comme a tenté de la faire E. Brotherus, travailler à partir d’un tableau de C.D. Friedrich, la question est alors. Comment œuvrer au delà des figures du symbole et de l’allégorie, au niveau de la substance même ?

On peut lire dans la préface du livre de Danièle Robert, les métamorphoses, une citation de Henri Mechonnic:

« La pensée poétique est la manière particulière dont un sujet transforme, en s’y inventant, les modes de signifier, de sentir, de penser, de comprendre, de lire, de voir, _ de vivre dans le langage. C’est un mode d’action sur le langage. La pensée poétique est ce qui transforme la poésie » (Henri Mechonnic, poétique du traduire, Lagrasse, Verdier, 1999, p.30 cité par Danièle Robert, les métamorphoses d’Ovide, Acte Sud, Thesaurus, 2001, p. 22)

Pour paraphraser , on pourrait dire:
L’art des images est un langage. La pensée dans cet art est la manière particulière dont un sujet transforme, en s’y inventant, les modes de signifier, de sentir, de penser, de comprendre, de lire, de voir, _ de vivre dans ce langage. C’est un mode d’action sur ce langage. La pensée artistique est ce qui transforme l’art.

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L’idée n’est pas l’entrée, l’illustration n’est pas la voie. Il faut pétrir le matériau, lui donner forme, l’armer parfois pour qu’il ne s’affaisse pas, avec l’espoir qu’on saura figer la forme, certain qu’ à cet instant, on ne pourra ni éviter mieux les pièges, ni approcher plus près l’idée plastique.

On semble condamné à cette approximation heureuse de la parole qui voile un instant cet horizon opiniâtre et proche qui nous partage et nous isole, rendant désirable sous les transparences les formes les plus intimes d’une nature dont le corps nu ne dissimule cependant aucune spiritualité, aucun secret.

 

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*Walter Benjamin.dans Origine du drame baroque allemand cité par Isabelle Soraru dans l’article  Melancholia  du blog : litterature2point0 _