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Paris, printemps 2013.
Certain·e·s militant·e·s radicaux·ales avaient d’ores et déjà pris fermement position dans l’affaire de l’hermaphrodite. Le jour était maintenant venu.
Par un ou une après-midi pluvieux ou pluvieuse, les adeptes libéraux·ales se rendent en procession au musée du Louvre. Il avait été enfin décidé en haut-lieux que «l’hermaphrodite endormi·e» au département des sculptures depuis 1807 allait être débaptisé·e.
Cette action symbolique allait permettre au gouvernement de redynamiser une popularité, en nette baisse depuis les dernières affaires de prises illégales d’intérêts ayant touché plusieurs haut·e·s-dirigeant·e·s, en affirmant haut et fort à la face du monde sa volonté de politique inclusive. (Rappelons que 7,4 millions de visiteurs sont entrés au Louvre en 2016 ce qui permet en effet d’envisager une excellente visibilité et une propagation rapide des nouvelles idées d’égalité dont la France souhaite dorénavant être porteuse).
Lors d’un premier discours à la radio, la veille, Madame la ministre chargée de l’équité auprès de la Ministre des Affaires Culturelles avait multiplié les annonces. Après avoir rappelé le lancement, le mois précédent, d’un concours ouvert à tous pour trouver un nouveau nom, épicène, pour la sculpture, elle avait annoncé avec fierté qu’un décret révolutionnaire, à la mesure d’un pays du XXIème siècle était en préparation et qu’elle le dévoilerait dans ses grandes lignes lors d’une manifestation organisée dans l’aile Sully du musée du Louvre, salle 348.
La manifestation de cet·te après-midi est largement soutenue dans notre pays par l’opinion publique progressiste, en particulier par la puissante fédération regroupant les défenseurs des droits de tous à pouvoir choisir son sexe et son orientation sexuelle, (La CSOS) ainsi que par un nouveau groupe, «ZOU», que l’on pourrait définir comme «les neutres», regroupant des êtres qui ne se sentent ni homme, ni femme et revendiquent donc légitimement le droit de ne pas choisir. Ce groupe, certes minoritaire, encore non reconnu en France et ne bénéficiant pas d’une très grande visibilité, voit dans le cas de l’hermaphrodite une opportunité politique, un premier pas vers la libération du binarisme des genres, un tremplin intéressant vers la reconnaissance officielle de l’Androgynie, qui devrait permettre à terme l’inscription d’un troisième genre sur les documents officiels. Ainsi, malgré certaines dissensions internes au mouvement (certains, dénonçant une atteinte intolérable à la vie privée des citoyens, militent en effet pour la suppression de toutes références aux genres sur les documents officiels), il a finalement été décidé de soutenir cette initiative et d’être présent.
Nous assistons donc aujourd’hui, malgré la pluie, à une journée mémorable qui, indubitablement, fera date dans l’histoire de notre R·république. C’est une étape supplémentaire vers le monde libéré, global et égalitaire dont nos anciens ont rêvé sans pouvoir le réaliser car il leur manquait encore à l’époque une franche compréhension du libéralisme qu’ils assimilaient bien mal à propos à un simple libéralisme économique.
La procession a lieu sans la moindre anicroche, les CRS présents (fort peu, ceux-ci étant par ailleurs déjà déployés devant les autres lieux de culte afin de les garder de tout acte terroriste) gardent une attitude bon enfant dont on ne peut que se réjouir. Grâce aux réseaux sociaux, le public est nombreux. Nul doute donc que l’information sera particulièrement bien relayée par les journaux de 20 heures.
L’heure du discours est venu. Le public déjà émoustillé ne tient plus en place.
Il s’agira, explique-t-elle, d’imposer aux conservateur·trice·s de retourner chaque jour la sculpture (grâce à un ingénieux système de moteur miniaturisé dissimulé derrière une trappe qu’un artisan va aménager dans le socle juste sous le marbre du matelas du Bernin), afin que la première vue offerte aux visiteurs lorsqu’il pénètre dans la salle ne soit pas tous les jours la même et ne lèse pas ainsi le nouveau et dorénavant obligatoire sentiment d’équité.
Les jours pairs les visiteurs devront ainsi découvrir d’abord des formes voluptueuses que d’aucun·e·s assimilent à des formes féminines. Les jours impairs, les visiteurs devront d’abord faire face au sexe en érection dont la très grande majorité des gens consultés ne remet pas en cause le caractère masculin.
Madame la Ministre ne cache pas que certains obstacles demeurent avant que le décret paraisse, mais elle a tenu à rassurer son public en répétant, comme hier sur les ondes de la radio nationale, que les concertations étaient bien avancées et que des réunions se tenaient dans un esprit constructif et ouvert.
Le Ministère devait en effet faire face à deux demandes insistantes à propos desquelles des décisions devaient être rendues. Un premier groupe de puristes, demandait en effet qu’une variation supplémentaire soit imposée au musée, afin de renforcer encore l’équité de traitement. Il s’agirait , pour les années paires, de montrer la face voluptueuse les jours pairs et le sexe en érection les jours impairs. Pour les années impaires, cet ordre serait inversé. La satisfaction de cette demande, n’engageant aucun budget supplémentaire, semblait à priori ne pas poser de problèmes.
Une deuxième demande, plus radicale, avait par contre entraîné la création d’un groupe de réflexion, car les propositions, jugées intéressantes par certains spécialistes, impacteraient, si elles étaient mises en place, bien au-delà de notre population hermaphrodite et des musées. Il s’agirait en effet d’aller plus loin pour viser une égalité parfaite en déclarant, comme cela avait déjà été tenté à une époque, que chaque mois aurait trente jours, ce qui permettrait une égalité stricte des jours pairs ou impairs. Les quelques jours restants (5 ou 6 suivant les années) deviendraient des jours neutres, jours de congé pour tous et jours de fermetures des musées.
Madame la Ministre tient à rappeler, comme la Cheffe de l’état l’avait déjà déclaré devant la pyramide du musée, le soir de son élection, que la France était particulièrement fière d’être le lieux de ce type de manifestation, preuve vivante qu’un profond sentiment de cohésion habitait notre patrie. Elle confirma, qu’en signe de solidarité, l’Académie allait dorénavant imposer la disparition du H dans droit de l’Homme qui deviendra donc logiquement «Droit de l’homme et de la femme» (certains réclamaient d’aller plus loin en proposant droits de l’Homme et de la Femme», mais un groupuscule anti-antonomase a réussi à se faire entendre au nom d’une modernité radicale).
A la question d’un·e con·frère·soeur à propos de la rumeur du remplacement de Marianne par l’hermaphrodite renommé·e, la Ministre a répondu qu’effectivement, la question était à l’étude et qu’elle tenait à rappeler que cette promesse faisait partie des promesses de campagne de notre présidente.
Madame la Ministre accepte ensuite de livrer sous la pression d’un certain nombre de collègues quelques propositions déjà remontées à l’occasion du concours. Certaines seraient prises au sérieux , comme «Jean-Marie», «Claude», ou «l’allongé·e» : d’autres ont d’ores et déjà été jugées non sérieuses: «gymnaste», «partenaires», par exemple. Nous savons d’une source proche du dossier que de la même façon furent rejetées les propositions suivantes: «les disparus du lac de Carie», «la proie de Salmacis», «la fontaine ’Halicarnasse», qui, si elles témoignent, de l’aveu de certains, d’une certaine culture, ne traduisent pas la volonté ferme de regarder vers l’avenir.
Gustave B.