Combien de parents, craignant un handicap, s’inquiètent devant leur enfant qui ne parle pas, ou parle trop tard ? Il serait souvent plus raisonnable de s’inquiéter du verbiage incessant qu’il proférera bientôt, face auquel il faudra effectuer des choix difficiles. L’encourager bien sûr, le rassurer aussi bien, mais surtout, jouer de ses mensonges, lui apprendre à se taire, à écouter, quitte à ce qu’il s’ennuie.
Utilisés à tort et à travers, pour dire tout et n’importe quoi, les mots réduits au témoignage, à l’incessante paraphrase de nos vies, anticipant l’apparition des rhétoriques publicitaires ou politiques, sont comme ces espèces pionnières qui produisent massivement des organes de reproductions après une catastrophe écologique. Ils recouvrent bientôt le monde empêchant toute parole tentant l’essentiel d’émerger.
Il en va de l’habitude de se raconter comme de l’agitation permanente et souvent bruyantes de nos sociétés dans lesquelles le moindre silence, comme la moindre oisiveté, semble être synonyme de malheur, d’ennui ou d’inconsistance.
Pourtant il est difficile d’imaginer que l’égocentrique, le publicitaire, le politicien soient vraiment dupes et que le sentiment de leur propre suffisance réussisse à calmer le doute qui s’insinue. En effet, l’égocentré est seul, lui aussi, et sauf à n’avoir aucune intelligence, le sait. Il peine à dissimuler par son agitation permanente ou sous ses bavardages, le drame absolu qu’est la fondamentale solitude de l’être humain, son désarroi.
Contre l’esprit de notre temps, gageons que l’apprentissage de l’immobilité et l’usage parcimonieux des mots, nous autorisent, en nous permettant de questionner notre énigmatique réel commun, de parier sur la possibilité de l’échange, tenter ainsi de rejoindre l’autre dans un entre-deux en noir et blanc fait de mots probes et de silence.
L’état amoureux qui semble souder deux individus reste une enivrante énigme. On en sait le pouvoir, on en sait les limites. Ne peut-on pas imaginer autour d’un trou noir de silence un état similaire, dont il faudrait trouver le nom ? Il serait captif de la spirale mélancolique de quelques mots, capables de susciter les enthousiasmes sereins qui murmurent à l’âme que tout est possible, que les limites reculent et que s’ouvrent ces instants d’éternité que seules la contemplation et la musique sont parfois capables d’offrir.
Ces mots là, contrairement à ceux de l’imbus et des enfants, qui ne concernent jamais qu’eux mêmes , s’adressent toujours à l’autre.