A propos du matériau photographique

Le travail ici représenté n’est pas un travail de photographe, mais un travail sur le matériau photographique. Au même titre que la couleur que le peintre broie, fait broyer ou achète en tube, que la terre que le sculpteur modèle, que la pierre ou le bois que d’autres taillent, que les mots qu’assemble l’écrivain, les clichés photographiques ne sont ici qu’une matière proposée à la mise en forme du travail créateur.

Certes, la prise de vue constitue bien déjà une mise en forme. Elle m’a cependant toujours paru insuffisante pour se constituer en un véritable discours. Peut-être à cause de cette difficulté qu’a la photographie à échapper à son pouvoir indiciel, a donc systématiquement ramener le propos vers la monstration, le reportage, le témoignage, le symbolique. Difficile me semble-t-il en effet d’échapper à ce sentiment devant une photographie que le sens lui demeure indissolublement extérieur : dans l’objet de la réalité qui est figuré, dans la situation réelle qu’évoque l’objet représenté, dans la signification symbolique de l’objet observé, davantage que dans l’œuvre que je contemple, comme si elle n’était là que comme le témoin d’autre chose situé dans un autre monde.

Renoncer à la photographie, subordonner la prise de vue à une composition à venir, travailler sur la matière du cliché photographique, cela permet-il de ramener le sens sur le papier ? Je le pense. A condition cependant de ne pas perdre de vue la nature même du photographique. En effet, même retravaillée au point de perdre une plus ou moins grande partie de sa liaison directe avec les objets du monde, et perdre en « reconnaissabilité», elle reste imprégnée  par le lien particulier qu’elle entretient avec des objets dont l’image aura été au final toujours enregistrée à partir du monde que j’ai sous les yeux, ce que certains nomment le monde réel.

C’est chose de troublant à travailler cette pâte-là. C’est comme si on essayait d’arracher à l’eau du monde, des clichés, comme des bois flottés , qui une fois assemblés, retravaillés et érigés, diront la berge, la terre enfin émergée, sur laquelle on peut reprendre pied, installer un langage.

Alors, le cliché photographique … une icône, une image, un symbole ? Disons plutôt qu’il n’est que le négatif , la pierre lithographique, la plaque de cuivre, la soie d’une œuvre à venir.

Broise


 

Lire également l’excellent texte de Fabien Claude